Les fluctuations des cotes ne sont pas aléatoires
Les simulations de modèles que nous avons évoquées jusqu'à présent sont basées sur un important postulat : les cotes finales sont complètement indépendantes des cotes d'ouverture, et n'ont donc pas de « mémoire ». Nous savons qu'au cours d'une série temporelle de paris, chaque résultat est entièrement indépendant du précédent ; il est impossible d'être sur une « bonne lancée », et le sophisme du joueur est le propre de ceux qui se refusent à reconnaître une telle vérité. Toutefois, les cotes d'ouverture et les cotes finales ne jouent pas dans la même catégorie (pour oser un jeu de mots).
Supposons plutôt que lorsqu'une cote plus importante que la cote « réelle » est publiée, il est probable que la cote finale sera elle aussi plus importante. Réciproquement, lorsqu'une cote plus faible que la cote « réelle » est publiée, il est également probable que la cote finale sera elle aussi plus faible.
Mais pour quelle raison ? En fait, puisque la cote « réelle » est inconnue tant du bookmaker que de ses clients, on peut émettre l'hypothèse que la véritable valeur de la cote d'ouverture sert d'ancre, autrement dit de point de référence, introduisant un biais de jugement qui réduit l'amplitude des variations futures. Les erreurs de cotation seraient alors toujours exploitées, bien sûr, mais pas autant qu'elles pourraient l'être. Voilà l'idée de départ.
L'ancrage des cotes et la variabilité aléatoire équilibrent, chacun dans un sens, la mesure des fluctuations entre cotes d'ouverture et cotes finales comme outil de prédiction des profits attendus d'un parieur.
L'ancrage est un biais cognitif bien connu des psychologues comportementaux. Appliqué aux paris, ce concept signifie que la cote publiée par un bookmaker peut inconsciemment influencer la façon dont un parieur voit le match. Cette vision sera peut-être différente de celle qu'ils auraient eue s'ils avaient analysé le match avant de voir la cote du bookmaker.
La majorité des parieurs consulteront sans doute les cotes avant de se décider à miser, plutôt que de se fier à leur propre analyse pour déterminer la probabilité « réelle » du résultat. C'est pourquoi, lorsqu'un parieur constate que le bookmaker a établi une cote à 2,25, il peut penser que la cote « réelle » est de 2,05, et non de 2,00. Le fait d'être confronté à ce chiffre peut influencer son jugement à un point tel qu'il s'éloignera de la cote « réelle » et se rapprochera de la cote d'ancrage. Un raisonnement similaire peut être appliqué aux cotes inférieures à la « réalité ».
Mesure de l'influence de l'ancrage sur la fluctuation des cotes
Dans le cadre de ma modélisation, j'ai choisi pour chaque pari une valeur ancrée à la cote d'ouverture, plutôt que d'utiliser une cote de 2,00. Plusieurs niveaux d'ancrage ont été testés, de 10 % (où une cote d'ouverture de 2,20 correspondrait à une cote finale d'ancrage de 2,02) à 90 % (2,20 et 2,18). Ces cotes finales d'ancrage ont été soumises à une variabilité aléatoire grâce à différents écarts-types (entre 0,15 et 0).
De cette façon, une cote d'ouverture plus importante que la cote « réelle » peut tout de même clôturer à un montant plus faible que celle-ci en raison de la variabilité aléatoire, mais l'ancrage permet de s'assurer que toute déviation de la cote finale qui la rendrait plus faible que la cote « réelle » est, en moyenne, plus réduite que la déviation à l'ouverture. Puisque l'inverse est également vrai pour les cotes d'ouverture plus faibles que les cotes « réelles », la cote finale moyenne de l'échantillon de 10 000 paris se maintient à 2,00. Elle reste donc, dans l'ensemble, efficace.
Dans les trois graphiques ci-dessous, j'ai détaillé les effets d'un ancrage de 20 % des cotes finales pour trois variabilités aléatoires différentes de cotes finales (σ = 0,09, 0,06 et 0,03). Il convient de les comparer aux graphiques équivalents ci-dessus, qui ne sont pas sujets à l'ancrage.
Cette fois, le « Coefficient de Proportionnalité » entre le Rapport cote d'Ouverture/Cote finale (moins 1) et la rentabilité (ou Gain) (aussi appelé ROCGCDP dans la première partie de cet article) est la valeur du gradient de la ligne de tendance. Une valeur de 1 suppose une proportionnalité parfaite ; les valeurs du ROCGCDP sont plus élevées (0,73 contre 0,81, 0,88 contre 1,00 et 0,96 contre 1,17). Le ROCGCDP du dernier graphique est effectivement supérieur à 1, et des profits sont encore réalisables sur les cotes finales pour les rapports cote d'ouverture / cote finale les plus importants. Plus simplement, en raison de l'influence de l'ancrage, les cotes d'ouverture supérieures à 2,00 engendrent des cotes finales disposant toujours d'une certaine valeur attendue. L'inverse est également valable pour les cotes inférieures à la « réalité ».

Le graphique ci-dessus propose un scénario de modélisation (ancrage de cote de 20 % et σ = 0,06 pour la variabilité de la cote finale) qui se rapproche des données réelles de Pinnacle. Ce graphique a pu être créé sans que les cotes de chaque pari soient d'une efficacité parfaite. Cela paraît plus intuitif.
Il serait particulièrement improbable que chacune des cotes finales publiées par Pinnacle soit d'une précision parfaite. Il s'agit également d'un argument en faveur de ceux qui pensent qu'il n'est pas nécessaire de toujours surpasser la cote finale pour être un bon parieur.
En considérant individuellement les paris, il arrive que la cote finale ne reflète pas parfaitement la « réalité », ce qui signifie qu'il n'est pas nécessaire de la surpasser pour espérer faire un profit à partir de la valeur attendue. Bien sûr, il faudra toujours parvenir à surpasser la valeur « réelle », quelle qu'elle soit.
Les graphiques ci-dessus présentent trois scénarios de modélisation. Il existe bien d'autres combinaisons possibles de niveau d'ancrage et de variabilité aléatoire des cotes finales. J'en ai testé 54. Les valeurs du ROCGDCP ont été saisies dans le tableau ci-dessous. N'oubliez pas que des valeurs supérieures à 1 supposent qu'en moyenne, des cotes supérieures à l'ouverture à la cote « réelle » auront toujours une certaine valeur lors de leur clôture ; à l'inverse, des valeurs inférieures à 1 supposent qu'en moyenne, des cotes supérieures à l'ouverture à la cote « réelle » seront devenues trop faibles lors de la publication de la cote finale.
Valeurs du ROCGDCP pour différents scénarios de modélisation
-
|
Écart-type de la variabilité de la cote finale modélisée
|
Ancrage
|
0
|
0,03
|
0,06
|
0,09
|
0,12
|
0,15
|
0 %
|
1
|
0,96
|
0,88
|
0,73
|
0,61
|
0,5
|
10 %
|
1,11
|
1,06
|
0,93
|
0,77
|
0,63
|
0,49
|
20 %
|
1,25
|
1,17
|
1
|
0,7
|
0,64
|
0,48
|
30 %
|
1,43
|
1,32
|
1,08
|
0,83
|
0,62
|
0,46
|
40 %
|
1,67
|
1,5
|
1,17
|
0,84 %
|
0,6
|
0,45
|
50 %
|
2
|
1,74
|
1,21
|
0,83
|
0,56
|
0,39
|
60 %
|
2,5
|
2,01
|
1,25
|
0,76
|
0,52
|
0,35
|
70 %
|
3,33
|
2,32
|
1,21
|
0,69
|
0,38
|
0,29
|
80 %
|
5
|
2,5
|
0,99
|
0,51
|
0,31
|
0,2
|
90 %
|
10
|
2,04
|
0,62
|
0,3
|
0,17
|
0,09
|
De toute évidence, lorsque la variabilité aléatoire des cotes finales par rapport à la cote « réelle » est trop importante (σ = 0,09 ou plus), il est impossible de modéliser un scénario permettant de reproduire les données de Pinnacle. Le rapport cote d'ouverture / cote finale ne peut que sous-estimer le profit par mise attendu (ROCGDCP < 1), et ce quelle que soit la cote d'ancrage.
Cela suppose en fait qu'il existe une limite maximum au nombre de variations aléatoires des cotes finales par rapport aux cotes « réelles » si l'on veut utiliser le ROCGDCP comme un outil de prédiction fiable pour les profits. Cette limite se situe plus exactement à σ = 0,075 avec un ancrage de cote de 50 % (c'est-à-dire environ la moitié de l'écart-type des cotes d'ouverture).
Comme le montre le tableau ci-dessus, il existe plusieurs moyens de modéliser un scénario où le ROCGDCP est égal à 1. Plusieurs combinaisons différentes d'ancrages de cotes et de variabilités aléatoires de cotes finales permettront ce résultat. Le dernier tableau montre des modélisations de scénarios capables de générer des valeurs pour le ROCGDCP ≃ 1, ainsi que les écarts-types des rapports cote d'ouverture / cote finale.
Modélisations de scénarios pour lesquels le rapport cote d'ouverture / cote finale est égal au profit par mise attendu (ROCGDCP = 1)
Ancrage
|
Cote finale σ
|
Rapport cote d'ouverture / cote finale σ
|
0 %
|
0
|
0,749
|
1 %
|
0,015
|
0,744
|
2 %
|
0,02
|
0,741
|
5 %
|
0,033
|
0,729
|
10 %
|
0,045
|
0,071
|
20 %
|
0,06
|
0,068
|
30 %
|
0,7
|
0,064
|
40 %
|
0,073
|
0,059
|
50 %
|
0,75
|
0,053
|
60 %
|
0,073
|
0,048
|
70 %
|
0,7
|
0,041
|
80 %
|
0,06
|
0,033
|
90 %
|
0,045
|
0,024
|
95 %
|
0,033
|
0,017
|
σ = 0,06, par exemple, est une valeur de variabilité de cote finale qui offre deux possibilités de coller aux données de Pinnacle. Nous avons déjà constaté qu'un ancrage de 20 % était suffisant. C'est également le cas d'un ancrage de 80 %. Un tel nombre est-il réaliste ? Probablement pas ; il suppose que les parieurs seraient, en moyenne, fortement influencés par la publication d'une cote, même si celle-ci est particulièrement erronée. Il suppose également des fluctuations d'une amplitude largement inférieure à la réalité.
La majorité des parieurs consulteront sans doute les cotes avant de se décider à miser, plutôt que de se fier à leur propre analyse pour déterminer la probabilité « réelle » du résultat.
L'écart-type des rapports cote d'ouverture / cote finale de l'ensemble des données de Pinnacle est de 0,103, et de 0,082 en ne considérant que les cotes d'ouverture entre 1,5 et 2,5. L'écart-type de la modélisation de scénario comportant un ancrage de 80 % et pour σ = 0,06 de variabilité de la cote finale était, lui, de 0,033, contre 0,068 pour un ancrage de 20 %. L'ancrage le plus faible semble être plus intuitif et correspond bien mieux aux données réelles.
Il serait sans doute encore plus judicieux de combiner 10 % et σ = 0,045, si l'on considère que les parieurs les plus compétents des marchés Pinnacle ne sont généralement pas aussi sensibles au biais d'ancrage que les parieurs occasionnels des autres bookmakers. Un ancrage de 5 % et une cote finale de σ = 0,033 fonctionnent également, tout comme une association de 2 % avec 0,02, ou encore de 1 % avec 0,015, mais ces chiffres nous renvoient presque à une efficacité parfaite sur chaque cotation, ce qui n'est gère réaliste.
Existe-t-il des preuves de l'ancrage des cotes ? À moins que les cotes finales de Pinnacle s'approchent de la perfection chaque fois que l'une d'entre elles est publiée, il est impossible de s'en passer pour expliquer un ROCGDCP d'une valeur de 1. Vous remarquerez sans doute que ma modélisation se concentre sur des cotes de 2,00, alors qu'on trouve dans les données de Pinnacle une bien plus grande variété de cotation. C'est pour cette raison que je vous invite également à consulter ce graphique du ROCGDCP établi pour un échantillon de cotes comprises entre 1,50 et 2,50 (pour un total de 109 619 cotes).

J'ai également consulté des données issues des bases de bookmakers occasionnels, mises à disposition par un célèbre service de comparaison de cotes. Un échantillon de 30 540 cotes moyennes produisait un ROCGDCP de 1,51. Bien sûr, cette analyse a un champ bien plus restreint que celle que j'ai menée sur les données de Pinnacle, mais les preuves d'inefficacité du marché des cotes finales sont flagrantes.
N'oubliez pas qu'un ROCGDCP supérieur à 1 suppose que des cotes plus importantes qu'elles ne devraient l'être n'ont pas assez baissé (ou monté en pression) avant leur clôture, tandis que des cotes plus faibles qu'elles ne devraient l'être n'ont pas assez augmenté (ou dérivé) avant leur clôture. J'ai déjà publié un article démontrant que les montées en pression étaient trop timides et les dérives trop anecdotiques (article en anglais).
Des bookmakers moins spécialisés, dont les clients sont plus susceptibles d'être influencés par un biais d'ancrage, produiront probablement des ROCGDCP largement supérieurs à 1. Ces mêmes bookmakers, cependant, choisiront peut-être également de maintenir des cotes à des valeurs plus importantes que la « réalité » plutôt que de permettre une libre régulation du marché, et ce pour des raisons publicitaires. On obtiendrait de cette façon un résultat similaire.
Je me dois d'aborder un dernier point. Même les scénarios modélisés comportant la plus grande variabilité de rapport cote d'ouverture / cote finale présentent une variabilité inférieure à celle du monde réel. La valeur la plus élevée, σ = 0,0749, reflète sans surprise des cotes individuelles parfaites et une absence d'ancrage. Elle doit être comparée au 0,082 des données du graphique ci-dessus.
Ces deux chiffres sont proches, mais en prenant en compte l'ancrage des cotes, on réduit l'échelle des rapports cote d'ouverture / cote finale. Est-il possible d'expliquer cette différence ? Essayons ; en retirant les rapports cotes d'ouverture / cote finale les plus extrêmes de Pinnacle (ceux ayant engendré les fluctuations de cote les plus importantes), la valeur de σ est réduite. Retirer les 1 % les plus extrêmes permet de réduire la valeur à 0,770.
Certaines de ces fluctuations de cotes parmi les plus extrêmes représentent sans doute des erreurs présentes dans la base de données où sont enregistrées les cotes d'ouverture et les cotes finales de Pinnacle. De plus, certaines fluctuations extrêmes font suite à des changements d'informations de même ampleur au sujet des équipes concernées, qui ne peuvent être pris en compte par la distribution aléatoire d'une modélisation. Pour ces deux raisons, les distributions des fluctuations des cotes des données réelles disposeront probablement de queues plus épaisses, et donc d'une plus grande variabilité que celle que suggère ma simple modélisation.
Qu'avons-nous appris ?
Pinnacle représente un standard en matière d'efficacité de cotation. Les cotes finales du site permettent une assez bonne estimation de la rentabilité attendue. Toutefois, mon analyse montre que l'efficacité de son marché est plus nuancée que ce qu'elle laisse supposer.
En moyenne, les cotes finales de Pinnacle reflètent assez fidèlement la probabilité « réelle » de la survenue d'un événement. Au cas par cas, cependant, cela ne sera pas toujours vrai. L'ancrage des cotes et la variabilité aléatoire équilibrent, chacun dans un sens, la mesure des fluctuations entre cotes d'ouverture et cotes finales comme outil de prédiction des profits attendus d'un parieur.
Nous pouvons tirer une conclusion de cette analyse : il n'est pas nécessaire pour un parieur de surpasser systématiquement la cote finale pour se montrer compétent, dans la mesure où l'ancrage des cotes préserve une partie de l'inefficacité, et ce même lors de la clôture d'un marché. Chez Pinnacle, il est probable que l'ancrage des cotes d'ouverture et la variabilité inhérente aux cotes finales soient tous deux limités. Toutefois, nous savons à présent qu'il n'est pas nécessaire que chaque cote soit parfaitement efficace pour fabriquer un marché globalement précis, et comment un tel résultat peut être atteint.